La pause clope

Il fut un temps où ça toraillait.

Il fut un temps, où on fumait dans les avions.

Il fut un temps où, au job, il fallait informer son supérieur qu’on sortait en fumer une.

Il fut un temps où on fumait à son bureau, non pas qu’au bureau.

Il fut un temps où fumer une clope avec ses collègues devant la machine à café ça soudait des liens, à tel point qu’on améliorait son réseau, le fumeur connaissait tout le monde, et tout le monde connaissait le fumeur.

Il fut un temps où lors de l'entretien d'embauche, on nous demandait ouvertement: “vous fumez?

Il fut un temps où fumer c’était la sérendipité.

La cigarette, prière de notre temps. (Oscar Wilde)


Il fut un temps où les non-fumeurs de la compta pestaient “Paul fume cinq tiges par jour, à neuf minutes la clope ça fait 45 minutes de boulot en moins, tous les jours, tu te rends compte?

Il fut un temps où le collègue binoclard rajoutait “à un paquet par jour et 5.— le paquet, je te laisse imaginer le budget”.

Il fut un temps, où ça smokait dans les bars, les lendemains de piste l’odeur de fumée froide faisait vomir une deuxième fois.

Il fut un temps, les cendriers débordaient.

Il fut un temps où le paquet de clope était à CHF 3,80.

Il fut un temps où les promesses partait en fumée “dès que le paquet arrive à une thune mec, j’arrête c’est sûr”.

Il fut un temps où le paquet passa à CHF 8.—.

Il fut un temps, la cigarette était la prière de notre temps (Oscar Wilde).

Il fut un temps, où autour de ce cendar se créaient des liens qui se transformait en une rencontre, très vite le coup d’un soir devenait union, et puis l’arrivée des enfants poussait à l’arrêter, cette clope, celle-là même qui avait tout permis.

Il fut un temps où le célèbre “t’as pas un clope?” torturait celui dont le paquet était presque vide.

Il fut un temps où ce collègue binoclard, enivré au repas de boîte ajoutait, après nous avoir piqué une sèche: “je te paie un paquet le weekend prochain, promis”.

Il fut un temps, où ça smokait dans les bars, les lendemains de piste l’odeur de fumée froide faisait vomir une deuxième fois.



Il fut un temps où les plus grands rêves se formaient dans un nuage de fumée véloce, qui très vite s’estompait.

Il fut un temps, fumer était culte, une identité, une ode aux grands, Serge Gainsbourg.

Il fut un temps où il fallait se forcer à s'acoquiner de la cigarette, quitte à grimacer, bouche en moue, quelques paquets et le désagrément passait (il parait).

Il fut un temps où les entraîneurs de foot fumaient sur la touche, certains joueurs en grillaient une à la mi-temps.

Il fut un temps, arrêter de fumer était la résolution de l'année. Certainement celle qu'on ne tenait pas.

Il fut un temps où on fumait pour décompresser.

Il fut un temps où avant un examen, une taffe était d'une aide plus importante que les évangiles (Emile Cioran).

Il fut un temps où on faisait docilement ses poches, avant que ses parents ne découvrent le paquet au moment de la lessive.

Il fut un temps, où il fallait bien expliquer à ses parents qu’on fumait.

Il fut un temps, ne pas fumer était un sacrement.

Il fut un temps où on jetait ses mégots par terre et sans gêne. Ou du moins, on rêverait de l’écrire.

La clope, on la conjuguera jamais au passé.

Elle est ce lien.


P.S. Je n’ai jamais été fumeur.

Le cendrier vide, symbole d'un bâtiment sans vie, ou alors il est tôt le matin

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