Les courses
Au supermarché, il y a la cliente organisée, elle quadrille le magasin comme les footeux quadrillent le terrain de foot: les légumes d’abord et à l’avant du caddie, les produits laitiers ensuite, ils sont rangés dans le sac réfrigérant qu’on organise par taille de conteneur et par ordre de rangement dans son placard IKEA monté pour l’occasion, tout sera rangé dans le sous-sol aménagé par Monsieur — Monsieur est justement là, il a conduit la berline dans le parking; depuis il conduit le caddie, il suit Madame de très près et très poliment, il ronchonne à chaque détour inattendu, Madame remplit le caddie en même temps que l’ardoise augmente, les courses ça le tend, il râle à demi-mot, ni pipe pas mot, le contenu des placards c’est pour Madame, lui il gère le patrimoine immobilier. Monsieur attend donc, la posture fatiguée et le regard en coin, les coudes appuyés sur les poignées du caddie, “vivement le passage en caisse et le café au bistrot”, il a besoin de forces et de caféine surtout qu’il devra remettre les courses dans le même ordre — légumes devant alcool derrière — dans le coffre de la berline lustrée, un premier plénum avant de tout ressortir à sa demeure — alcool d’abord et légumes ensuite — tout déplacer trois fois, mais pourquoi ne pas se faire livrer “at home”, comme il a pu lire sur l’application en attendant Madame.
Et puis il y a celui qui tient sa liste manuscrite coincée dans son caddie, il connaît les soldes chez Migros, Coop, Denner, Aldi et Lidl, son fichier Excel compare tous les aliments dans des onglets idoines, il a tout comparé — prix, poids, taille, disponibilité, origine des produits — chaque semaine il déniche les bonnes occasions dans les tous-ménages et prospectus publicitaires, il est abonné aux newsletters, la renifle les bonnes affaires, il les scrute, il les connaît les affaires, en particulier les bonnes; il cherche les économies, scrute les étiquettes rouges, achète les discounts, tombe par terre lorsqu’il apprend que le 50% des achats des consommateurs se font de manière inattendue et spontanée en magasin et sans intention d’achat. Et puis l’homme s’arrête, incrédule devant les boissons, mais pourquoi donc la mention “On Sale”?
Les courses, on les fait en courant, à la va-vite ou en prenant son temps. Sale temps?
