Poivre-sel

Voilà quelque temps, la trentaine sonnait à ma porte.

Porte close jusqu’ici, cette trentaine n’était qu’une lointaine augure, la tonitruance de se voir affubler non plus d’une posture jeune, mais de deux chiffres : trois et zéro — chiffres vieillissants poussant dans les méandres et tréfonds de l’âge alors que finalement, cet horripilant 30 n’était qu’un nombre.

Nombreux sont celles et ceux dont la trentaine n’affecte pas, peu voire prou, on fait en sorte que chaque année compte plutôt que de simplement compter les années.

Année 30, donc.

Donc non, je ne l’ai que passablement assumé, ce passage, aussi brutal qu’il pût être, iconoclaste et sauvage, peut-être était-ce la gifle du chiffre impair, la gifle de se voir exclu d’une jeunesse sacralisée aux libertés totales, adieu la décennie d’or, salut l’insouciance, les problèmes étaient rares autant que les aventures grandes — tout était si subit.

Subitement fallait-il penser à fonder une famille, il fallait songer à agrandir son soi, devenir parent, devenir adulte, “devenir responsable, tu sais” me disait une maman contemporaine, la phrase qui pointe du doigt et qui impose qu’à 30 ans, il faut — il faut, parait-il.

Il parait que le temps passe.

Passer est un euphémisme, il défile ce foutu temps, il virevolte – trop vite.

Vite, réveille-moi, aide-moi à apprécier chaque instant, bouscule-moi.

Moi, parabole d’un monde en mouvement, désormais j’ai 15 ans de plus au compteur et me voilà affublé du chiffre 45, ce sont maintenant les cheveux blancs qui dominent, heureusement la calvitie n’arrive que lentement et par en-bouts, le front se dévoile en même temps que les bobos éphémères se prolongent, je garde en tête que ô réalité, les cheveux lorsqu’ils tombent sont gris.

Gris comme cette barbe poivre-sel qui emplit à son tour mon lavabo à chaque va-et-vient du rasoir, je les vois en majorité, ces épis grisâtres, ils dominent carrément, il n’y a plus photo je suis passé de l’autre côté.

Côté famille oui j’ai grandi, scolairement j’ai suivi les paroles de ma très chère contemporaine, “ah enfin, c’est le moment !“ m’a-t-elle lancé, “maintenant faut assumer hein, finies les sorties et les gueules de bois“ m’a-t-elle balancé : je suis marié, formidable épouse qui supporte mes vacillements manichéens, nous avons deux enfants.

Que c’est beau de pouvoir partager avec la nouvelle génération — non plus simplement être de la génération Easyjet.


Les enfants, une joie incommensurable, quasiment lunaire, que c’est beau de pouvoir partager avec la nouvelle génération — non plus seulement être de la génération Easyjet — la joie de transmettre est bien plus excitante que d’exploiter les voyages et ces pays à la vie moins chère.

Cher chiffre 30, promis, juré, je ne râle plus, j’ai donné.

Donnant-donnant, je ne souhaite plus réussir dans la vie, je souhaite réussir ma vie – car oui, c’est différent — mais allez l’expliquer aux carriéristes, celles et ceux qui privilégient le projet de la boite qu’à la préparation de la boîte de récré des enfants.

Les enfants, ça change, ça rend différent.

Différentes époques.

Epoques différentes.

Différents modes de vie.

Vie différente.

Différentes couleurs, le poivre-sel ça va finalement très bien.

Bien, on passe à la suite, dans cinq and se sera 50 ans, un chiffre que j’accepte déjà car je le sais, je vais tout faire pour réussir ma vie — avec mes enfants, ma femme, mes proches.

Proche des miens, que j’aime.

Je t’aime aussi, chère barbe poivre-sel.


Texte écrit par anadiplose, tant bien que mal

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