Le flacon, peu importe

Finalement, il ne fait qu’accompagner.

Il est celui qui escorte les meilleurs, c’est un peu le su-sucre, il est toujours autour des autres, jamais au centre de quoi que ce fût, il est l’anneau qui gravite autour de Saturne. Il est celui sans qui on survit, mais sans lequel rien n’est réellement abouti.

Beaucoup l’aiment du coin.

D’autre de plus loin, des quatre coins de la terre.

Avant de le consommer, on l’humecte. On le respire. On le fait tourbillonner.

Quelques entournures plus loin, en bouche ou au pif, il ne sera plus qu’un modeste “mmm oui, très bien”, peut être un chiche “va bien”, voire, encore plus rare, “wow!”.

Beaucoup l’aiment du coin. D’autre de plus loin, des quatre coins de la terre.


On fait semblant de bien le connaître. Tantôt c’est le cas, souvent pas du tout mais surtout, il faut faire semblant.

Car le négliger, c’est se ringardiser.

Aujourd’hui encore, Madame à le droit de se tromper, Monsieur lui, doit maîtriser; ou au moins faire semblant, car le tout végète dans un monde encore bien masculin, limite macho.

Rouge, Monsieur le consomme tiède (20 degrés), alors qu’il devrait être servi plus frais (15 degrés). Bien souvent Madame le consomme justement, car il développe les meilleurs sens.

Et dès lors intervient le prix.

Cher, on a tendance à l’ennoblir (même s’il est médiocre), bon marché on dit qu’il pique (même s’il magnifie son palais), milieu de gamme on dit qu’il va juste bien (histoire de rester neutre).

Et puis l’habit, le look, l’aspect. On le regarde, il est ausculté; oui, on se fie aux apparences. Aux jolis atours, on lui colle une étiquette généreuse “ah oui, ça a l’air pas mal”, un truc vétuste qui l’habille et pan, on ose l’étiqueter de piquette.

Il est donc, le vin.

Le pinard.

La vinasse.

Le picrate.

Mise au centre, voilà que le syrah devient la syrah; le baril devient la barrique; le flacon devient une divine bouteille; le coup de rouge devient une dégustation; le tord-boyau devient une merveille; un vin médaille devient une bouteille décorée.


Souvent, on choisit le vin après avoir choisi le plat principal, on goutte toujours le vin après avoir entamé la ripaille; c’est toujours le sacro-saint “bon appétit” avant le “santé”, c’est, ô sempiternelle rengaine: “on met quel rouge avec la côte de boeuf?”.

Le vin, merveilleux accompagnant.

Meilleur second rôle, il oscarise l’ensemble, il n’est qu’un supporting act, soit celui qui soutient le (plat) principal, celui qui rend les autres meilleurs.

Peu importe le flacon, donc, tant qu’on a l’ivresse.

“Le meilleur vin n’est pas nécessairement le plus cher, mais celui qu’on partage”, disait Brassens. “Je n’ai jamais bu de vin à outrance, d’ailleurs je ne sais même pas où c’est”, Pierre Desproges.

Le breuvage vit dans un monde d’hommes, comme nous l’expliquait récemment Ghislaine Crittin.

Le vin d’ailleurs, il est la femme d’antan: elle ne faisait qu’accompagner. Heureusement, mise au centre nous voilà que le syrah devient la syrah (quand il est bon), le baril devient la barrique; le flacon devient une divine bouteille; le coup de rouge devient une dégustation; le tord-boyau devient une merveille; un vin médaille devient une bouteille décorée.

La vigneronne est désormais l’égale du vigneron.

Mais quand le vin égalera-t-il le repas?

Le jour où Monsieur préparera le repas et Madame le pinard, équitablement? Ou sera-ce le jour où l’on choisira le cépage du vin avant de miser sur la cuisson de la viande?

Si le vin manque, il manque tout”, les Latins, eux, ont déjà tout compris.

Toujours, il gravite autour.

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