Désormais, on va à la salle

Dans le jargon et désormais, on va à la salle. Avant, on allait simplement faire du sport.

Son sport.

On partait transpirer un coup sur un coup de tête, on enfilait ses baskets noirs, son t-shirt noir, ses chaussettes noires et on avait les idées claires: suer.

Il y a 10 ans, c'était cardio.

On cravachait sur le rameur, on courait sur les tapis, les vélos tournaient, les elliptiques provoquaient une file d'attente des utilisateurs, la salle côté cardio suintait la transpiration, ça sentait mauvais, odeur rance et sudation, les t-shirts étaient auréolés de sueur, c'était moche mais on aimait ça.

Beaucoup étaient en surpoids mais ne voulaient pas l'être davantage; les autres étaient longilignes et le voulaient encore plus.

CA suintait la transpiration, ça sentait mauvais, odeur rance et sudation, les t-shirts étaient auréolés de sueur, c'était moche mais on aimait ça.


Aujourd'hui attention: la salle de cardio s'est vidée.

Le vélo elliptique?  Toujours libre.  Le vélo d’appartement?  Il prend docilement la poussière.  Le second rameur?  La salle l'a revendu.

Désormais, tout se passe de l'autre côté.

Du côté de la salle.

Là-bas, ça soulève les kettlebells, ça lève les haltères, le disque de musculation vole, c'est 120 kilos au développé militaire, ça crie en squattant son gilet lesté de plomb, on prend les haltères 25 kilos à un bras, les deltoïdes crissent, les épaules galbées ressortent du débardeur col en V rose bonbon, les muscles suintent et se sculptent dans le short moulant gris taupe, les quadriceps sont enveloppés dans le serre-cuisse Compressport; les pompes sont Balenciaga, les chaussettes Jordan apportées dans le sac LV.

D’ailleurs, s’est-on déjà demandé pourquoi les miroirs ornent les quatre murs du côté de la salle — alors qu’il n’y en a aucun côté cardio?

Les muscles se sculptent dans le short moulant gris taupe, les quadriceps sont enveloppés dans le serre-cuisse Compressport; les pompes sont Balenciaga, les chaussettes Jordan apportées dans le sac LV.


Avant on sortait courir, vite si possible, lentement si impossible, on avait sa montre pour nous rappeler qu'il était l'heure de retourner bosser.  Aujourd'hui on fait 8x3 séries à soulever 50 kilos, on regarde la notification sur sa montre et on répond à un mail in situ: 60 minutes à salle c'est 30 minutes sur son portable.

Les plus assidus ont un coach qui dicte le tempo: 50 curl assis, 100 cuisses squat, 10 séries d’épaulé développé, 60 biceps curl debout, 2x10 pectoraux pullover, quatre séries de triceps kick back, les épaules butterfly inversé, 100 squat bulgare, la chaise.

Jadis on voulait juste aller vite, suivre la cadence et le rythme.

Tenir la distance pour aller loin.

Désormais on doit être fort, montrer les muscles, sculpter son corps.

Bomber le torse pour tenir la baraque.

Et si la salle, finalement, n’était qu’à l’image du monde ?

Et si la salle, finalement, n’était qu’à l’image du monde ?


On ne convainc plus sur la longueur, on fait entrer en force des lois autrement refusées — le 49.3 français. On use de la force pour étendre sa frontière et retrouver une domination d’antan — la Russie. On impose une fusion qui autrement n’aurait jamais été acceptée par nos lois de la COMCO — Credit Suisse et UBS.

Le monde, la salle ?


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